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Je lis beaucoup de posts opposant les partisans d’une reprise de l’école en mai (qui veulent éviter une « catastrophe pédagogique et sociale »), et leurs détracteurs (qui y voient un trop grand risque sanitaire avant tout).

Parmi les raisons invoquées par les partisans, je m’interroge sur le caractère réellement catastrophique sur le plan pédagogique, et de manière plus large, à l’échelle d’une vie.
Les apprentissages se résument-ils à l’acquisition de notions programmées dans les manuels scolaires ? Un trimestre de cours en moins dans une vie d’enfant ou d’ado, est-ce la condamnation à une vie professionnelle ratée ?
Prenons un peu de hauteur. La situation incroyable dans laquelle une grande partie de l’humanité est plongée devrait nous inciter à réfléchir un peu plus loin qu’un bulletin de notes…

1- On apprend tout au long de la vie.

D’abord, ce qu’ils n’apprendront pas cette année, ils auront toute la vie pour le rattraper. Ce n’est pas comme si nous vivions dans une société sans livres, sans personnes pour transmettre, et sans internet !
Et même si, d’ailleurs, ils ne rattrapaient pas tout, est-ce si grave ? Ont-ils vraiment besoin de savoir tout ce que l’école essaie de leur faire ingurgiter ? Pas vraiment… ce n’est un secret pour personne que les écoliers français ont des programmes bien trop chargés, et que certains apprentissages totalement désincarnés et vides de sens ne sont acquis que pour une durée égale à la semaine qui sépare le cours de l’évaluation.
Nous-mêmes, adultes, que nous reste-t-il de certains cours 10, 20, ou 30 ans après ?

2- On apprend de la vie.

Ensuite, il faut rappeler que cette situation arrive à bien des gens chaque année, interrompus dans leurs apprentissages pendant quelques mois en raison d’une maladie, d’un accident, etc. Ces gens-là, lorsqu’ils s’en remettent, en reviennent souvent encore plus forts. Pourquoi ?
Parce qu’on apprend de tout, et surtout de la vie : nous ne sommes pas que des cerveaux faits pour encoder des formules scientifiques ou littéraires. Nous sommes toutes et tous doté·es de capacités physiques, sensitives, émotionnelles. Nous apprenons des autres, de nos interactions avec le reste du monde, des situations que nous vivons. Nous développons d’incroyables aptitudes en jouant, en observant la nature, en cuisinant, en lisant des romans, en riant devant des séries comiques, en nous ennuyant, en construisant un abri pour les oiseaux, en essayant de nous dépasser dans le sport…
Si les enseignant·es actuellement confiné·es avaient été incité·es à proposer un accompagnement pédagogique allant dans ce sens plutôt que d’envoyer des cours, des exercices, et des évaluations par mail ou plateforme interposée, comme si l’enseignement à distance se résumait à cela, peut-être que nous aurions moins ce sentiment que les enfants vont décrocher…

Nous vivons en ce moment quelque chose d’incroyable, une épreuve sociale inédite. Le rapport au temps, aux autres, à l’argent, au pouvoir, à la marche du monde est bousculé, remis en question. Nous touchons du doigt plus que jamais notre vulnérabilité et sommes renvoyé·es en continu par les chaînes d’informations à notre condition de mortel·les.
Qui peut sérieusement croire que durant cette période, nos enfants n’apprennent rien ?
Ce qu’ils apprennent sur eux-mêmes, leurs relations, le monde dans lequel ils grandissent vaut 1000 fois un trimestre raté à apprendre des formules mathématiques, découvrir une œuvre littéraire, ou pratiquer une dissection de pissenlits.

3- Certains apprentissages valent bien plus que tout

Cessons de donner du crédit à des discours alarmistes sur le sacrifice d’une génération d’élèves.
Accompagnons au contraire nos enfants dans ce moment de repli sur nous-mêmes pour qu’ils apprennent à observer, réfléchir, prendre du recul, écouter leurs émotions et comprendre celles des autres, exercer leur esprit critique, et j’ai le sentiment qu’ils auront gagné bien plus de compétences utiles pour la suite que d’être allés en cours.